Xombul, le « making-of »

Au commencement, bien souvent: la matière.

Ce n’est pas systématique que la pensée ou l’idée soit le point de départ d’une création. En fait et de façon bien plus prosaïque, c’est fréquemment le constat que le bac à chutes de bois est bien rempli et lorsque je me suis courageusement attaqué à un tri périodique dans mon atelier (je déteste faire ça, alors je ne vais certainement pas vous parler de « 5S » même si ce serait bien nécessaire dans mon antre) j’ai repéré des chutes de hêtre et d’iroko de tailles semblables, issues d’un précédent projet et un processus de pensée presque inconscient se met en place : « et si … »

C’est là que j’ai fait une connexion avec l’article dont je vous ai parlé dans la page précédente.

Une fois les deux espèces de bois sélectionnées (j’avais envie de n’en mélanger que deux pour cette réalisation), il s’agit de tirer des épaisseurs constantes à partir des chutes récupérées (ce fut mon choix stylistique mais ce n’est pas obligatoire et je crois même qu’il aurait été préférable de prendre des épaisseurs plus fortes pour les tranches « d’extrémité », j’y reviendrai) .

Je suis parti sur des épaisseurs de 14 mm (9/16 pouce environ). Mes carrelets de bois sont sciés à la bonne épaisseur (c’est l’opération de délignage) en les retournant après le premier trait de scie tout en gardant la même face appuyée sur le guide, afin de terminer la coupe puisque ma hauteur de lame sur la scie à format ne permet pas de le faire en une seule opération.

C’est une étape délicate en termes de sécurité car mon couteau diviseur (la pièce métallique placée derrière la lame et dont la fonction est d’éviter que la pièce de bois se pince contre la lame risquant ainsi un rejet violent de la pièce dans l’atelier) est un peu plus haut que le sommet de ma lame.

Voyez aussi sur l’image que j’ai utilisé mon guide parallèle de sciage sur sa plus haute face afin de bien guider et plaquer mes pièces sur le guide

Les planchettes de hêtre et d’iroko sont collées entre elles en ayant pris soin de soigneusement dégraisser les faces de l’iroko au préalable (ses excellentes propriétés de résistance aux intempéries sont dues au fait qu’il laisse suinter une huile protectrice qui empêche un bon collage si on ne nettoie pas les faces d’encollage) et en intercalant une feuille de papier entre chaque lame. Cette astuce permet de bien maintenir les lames entre elles pour l’opération de tournage de l’extérieur du bol ; cela rend également possible une séparation des lames entre elles après leur tournage. Ce sera nécessaire lorsque je voudrai décaler les lames pour donner au bol sa forme caractéristique.

Je colle sur le massif parallépipédique de lamelles encollées un morceau d’OSB puis je découpe un cercle approché à la scie à ruban (inutile de faire taper du bois trop fort contre les gouges si on peut l’éviter).

Enfin (pour cette étape) je rapporte un plateau de reprise sur ma pièce avec des vis tirefonds. Cela me permettra d’installer la pièce sur la broche d’entrainement du tour.

Notez que les trous des quatre vis disparaitront lors du tournage de l’intérieur du bol. Ce que vous voyez sur la photo est donc un massif de bois reconstitué qui présente la forme extérieure du bol qui sera tourné en premier.

Une photo de la pièce en rotation sur le tour. Remarquez:

  • la faible vitesse de rotation lue sur l’afficheur (plus la pièce est grande et plus la vitesse doit rester mesurée). En fait j’ai même commencé le dégrossissage à 400t/min par sécurité

  • l’utilisation d’une contrepointe tournante (toujours l’idée de sécurité procurée par un maintien suplémentaire de la pièce en rotation)

Le bol commence à prendre forme. Je laisse la contrepointe en place le plus longtemps possible et ne la retire qu’au dernier moment afin d’achever la partie inférieure du bol.

On voit nettement se dessiner le contraste en le hêtre clair et l’iroko plus sombre (voire même carrément foncé pour certaines planchettes).

Une fois l’étape de formage à la gouge achevée, place au ponçage (en allant progressivement du grain 150 au grain 400 puis (astuce) en polissant le bol en rotation avec les copeaux de tournage, ce qui laisse un fini exceptionnel sur la pièce.

Je choisis de réaliser la finition à la cire plus tard lors des dernières étapes décrites plus loin.

Ca y est, la forme extérieure est achevée. Je retire la plaque support en OSB et m’attaque à la séparation des lames de bois.

C’est là que les ennuis commencent … Je vous ai dit, n’est-ce pas que mes lattes de bois étaient collées entre elles avec une feuille de papier. Eh bien cette idée est vraiment bonne car elle permet de séparer aisément les lattes (un léger coup de maillet sur un ciseau à bois bien afûté et placé sur la jonction suffit). Sauf que …

Il faut se débarasser du papier qui reste collé sur les lattes. Et là … c’est long, très long. L’article en lien dans la page de présentation de cette pièce pense que c’est quand-même une méthode à essayer (son auteur a essayé avec de l’adhésif double face et il a eu beaucoup de soucis avec cette méthode-là).

C’est vraiment une opération de nettoyage dont il faudrait pouvoir se passer, mais elle est nécessaire et doit être faite avec délicatesse puisqu’il faudra recoller les lattes entre elles (sans papier, cette fois) de manière précise.

Après avoir ôté le papier, je numérote soigneusement les faces qui seront en contact pour m’y retrouver ultérieurement.

On peut voir avec la petite pièce « d’extrémité » que je tiens entre mes doigts qu’il aurait mieux valu probablement épaissir l’avant-dernière pièce afin d’éviter de se retrouver avec un élément difficile à recoller.

Recollage définitif des lattes entre elles. Mais cette fois en prenant soin de les décaler précisément les unes par rapport aux autres afin d’obtenir cette forme caractéristique qui est tout l’objet de cette réalisation.

Après réflexion je décide de procéder au collage des pièces une par une, puis une fois la colle séchée, je poursuivrai l’assemblage en collant par paquets de deux, puis par paquets de quatre et ainsi de suite.

Pourquoi ?

Simplement à cause d’un phénomène bien connu des boiseux : les pièces plates assemblées par collage et serrées avec des serre-joints ont une fâcheuse tendance à glisser les unes par rapport aux autres de manière incontrôlée, alors autant limiter la difficulté à 1+1 pièce plutôt que de se lancer dans un collage carrément acrobatique et pour tout dire, ingérable.

C’est ici qu’une astuce rapportée par Nick Engler dans « 5 expert tips for gluing » (repère 3’28 ») s’est révélée précieuse. Nick recommande de tout simplement frotter deux morceaux de papier de verre à gros grain au dessus de la colle avant de refermer l’assemblage. Cette astuce marche vraiment très bien et n’a pas peu contribué au succès de cette réalisation. Merci Nick !

Les derniers morceaux, à l’extrémité du diamètre sont enfin placés et serrés avec des serre-joints à mors doux pour éviter de laisser des traces sur les faces d’aspect.

Enfin, après séchage, il s’agit de nettoyer très soigneusement les traces de colle qui sont inévitablement apparues lors du serrage.

C’est pendant cette méticuleuse opération que me revient en mémoire ce dicton boiseux:

« C’est pas la colle qui chie qui colle, c’est la colle qui pousse la colle qui chie, qui colle »

Pas très raffiné, mais bien vrai !

Avant de pouvoir tourner l’intérieur du bol, il convient de rapporter une base de bois (toujours par collage) qui permettra de venir fixer le plateau de reprise (la pièce métallique qui fait la jonction avec le moteur du tour).

Cette base est réalisée en épaisseur suffisante pour accepter les vis de fixation au plateau de reprise, mais sans pénétrer dans la pièce cette fois-ci.

Nous verrons plus loin l’étape de séparation de cette base.

Ce montage ne vous fait-il pas penser à quelque chose ?

Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à la couronne de la reine d’Angleterre, mais « Honni soit qui mal y pense » !

Il est temps de monter l’ensemble sur le tour. Voyez à gauche l’assemblage qui permet d’assujettir le bol au tour:

  • Une première plaque d’OSB collée à la base du bol sur laquelle
  • une deuxième est également collée. Cette deuxième plaque reçoit 4 vis à têtes côniques dont les têtes sont noyées entre les deux plaques d’OSB et qui dépassent et permettent ainsi de fixer le tout au plateu de reprise qui est vissé sur la sortie du moteur.

Je fais un essai à basse vitesse (prudence !) et rogne les irrégularités des deux plateaux d’OSB afin de limiter les risques de blessures (image de droite).

Le creusage commence. Je laisse comme d’habitude la contrepointe afin de sécuriser l’ensemble qui est assez lourd, au début du creusage.

Une première passe pour dégrossir le sommet du bol avec ces constats:

  • Je dois faire très attention aux « ailettes » des plaques qui dépassent (je fais donc en sorte que mes doigts restent en-deça du porte-outils car j’y tiens).
  • La zone crénelée en périphérie fait apparître un « fantôme » qui est trompeur car il donne l’impression que l’épaisseur disponible est importante ce qui est faux ! La vraie épaisseur disponible pendant le creusage est donnée par le côté des plaques les plus proches du centre.

J’arrête fréquemment le tour pour mesurer l’épaisseur avec le compas qui sert à cela afin de m’assurer de laisser une épaisseur de paroi suffisante.

J’approche du fond du bol et décide de m’arrêter là pour cette journée. Je reprendrai demain.

Je démonte l’ensemble de la broche du tour et le laisse reposer à la verticale.

Le fond est achevé. Comme d’habitude, le plus difficile est de ne pas laisser de traces d’outils qui rendraient le ponçage et le polissage très difficile.

C’est le moment de penser à la séparation du bol de sa base en OSB.

Opération un peu délicate…

 J’insère le tronquoir juste au point de contact entre le bol et sa plaque d’OSB afin de commencer à le détacher.

Plus je progresse vers le centre, plus je dois faire attention car la matière qui reste pour fixer le bol au tour devient fine et aller trop loin signifie tout simplement risquer de satelliser ma pièce dans l’atelier et ainsi ruiner toutes ces heures de travail.

J’arrête fréquemment le tour et tire sur le bol (image de droite) afin d’estimer la flexibilité du moignon d’OSB qui reste.

Quand cela commence à fléchir un peu trop, je sépare le bol avec une simple scie (le tour étant à l’arrêt!). Cela ressemble à un précepte de mécanicien appris il y a longtemps : « serre ta vis bien fort gamin, mais arrête toi un quart de tour avant que ça casse » !

Une fois le bol détaché, je le retourne et le monte sur un plateau « Jumbo » muni de huit butées caoutchouc (pour ne pas blesser les pièces) lui-même vissé sur mon mandrin à quatre mors. Toujours par sécurité, je laisse une contrepointe tournante en appui afin de bien plaquer la pièce sur le plateau parceque les butées en caoutchouc ne peuvent pas fournir une fixation suffisamment positive et sûre.

Ainsi, il m’est possible de terminer le bas du bol et de le poncer puis de le polir.

Pour achever le travail, un délicat passage entre toutes les ailettes du bol afin de le nettoyer et le rendre présentable.

 

Et voilà !

Oh, pas si vite !

je m’aperçois que j’ai oublié de tenir ma promesse et de vous expliquer pourquoi j’ai choisi un nom pareil à cette pièce…

Attention : je divulgâche l’intrigue dans ce qui suit.

Cela trouve sa source dans mon côté geek amateur de science-fiction. Etant fan de la bande dessinée Valérian et Laureline je me suis souvenu du premier opus de la série (la cité des eaux mouvantes) et en particulier de son archi-vilain nommé « Xombul » qui ne cesse de chercher noises à nos héros et à vouloir soumettre le monde.

Bien évidemment, le sort de ce triste sire est scellé à la fin de l’album lorsqu’il tente d’échapper à sa juste punition en effectuant un saut spatio-temporel dans un appareil défectueux (ce qu’il aurait sû s’il avait écouté les gentils ou s’il avait simplement eu quelques connaissances de base en mécanique du saut spatio-temporel, cet affreux).

Les images qui suivent sont très certainement protégées par le droit d’auteur et je suis certain qu’un œil sourcilleux pourrait trouver à redire à leur affichage dans cette page. Je me disculperai en vous disant:

  • Mais comment fait-on pour insérer de telles images dans un site sans passer des semaines à négocier une autorisation qui ne viendra pas faute de réponse ?

  • Courrez acheter cette excellent album (voici le lien vers la page de l’éditeur qui vous dira où le faire),

  • Je retire ces images au premier message du propriétaire m’enjoignant de le faire et lui présente d’avance mes excuses.

Voici donc ces vignettes qui vous diront mieux que mille mots le pourquoi de ce nom curieux donné à une coupe de bois tourné !

Etonnant, n’est-il pas ?